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Rencontre avec Vanessa Springora (Patronyme, Grasset) et Sergueï Shikalov (Espèces dangereuses, Le Seuil)

AUTEUR(S)

Vanessa Springora
Sergueï Shikalov

Toulouse - Librairie Ombres blanches


Patronyme, Vanessa Springora (Grasset) :
Attendue sur le plateau de La Grande Librairie pour parler de son livre, Le Consentement, l’autrice est appelée par la police pour venir reconnaître le corps sans vie de son père, qu’elle n’a pas revu depuis dix ans. Dans l’appartement de banlieue parisienne où il vivait, et qui fut jadis celui de ses grands-parents, elle est confrontée à la matérialisation de la folie de cet homme toxique, mythomane et misanthrope, devenu pour elle un étranger. Tandis qu’elle s’interroge, tout en vidant les lieux, sur sa personnalité énigmatique, elle tombe avec effroi sur deux photos de jeunesse de son grand-père paternel, portant les insignes nazis. La version familiale d’un citoyen tchèque enrôlé de force dans l’armée allemande après l’invasion de son pays par le Reich, puis déserteur caché en France par celle qui allait devenir sa femme, et travaillant pour les Américains à la Libération avant de devenir « réfugié privilégié » en tant que dissident du régime communiste, serait-elle mensongère ?
C’est le début d’une traque obsessionnelle pour comprendre qui était ce grand-père dont elle porte le nom d’emprunt, quelle était sa véritable identité, et de quelle manière il a pu, ou non, « consentir », voire collaborer activement, à la barbarie. Au fil de recherches qui s’étendront sur deux années, s’appuyant sur les documents familiaux et les archives tchèques, allemandes et françaises, elle part en quête de témoins, qu’elle retrouvera en Moravie, pour recomposer le puzzle d’un itinéraire plausible, auquel il manquera toujours des pièces. Comment en serait-il autrement dans une Tchécoslovaquie qui a changé cinq fois de frontières, de nationalité, de régime, prise en tenaille entre les deux totalitarismes du XXème siècle ? À travers le parcours accidenté d’un jeune homme pris dans la tourmente de l’Histoire, c’est toute la tragédie du XXème siècle qui ressurgit, au moment où la guerre qui fait rage sur notre continent ravive à la fois la mémoire du passé et la crainte d’un avenir de sauvagerie.
Dans ce texte kaléidoscopique, alternant fiction et analyse, récit de voyage, légendes familiales, versions alternatives et compagnonnage avec Kafka, Gombrowicz, Zweig et Kundera, Vanessa Springora questionne le roman de ses origines, les péripéties de son nom de famille et la mythologie des figures masculines de son enfance, dans une tentative d’élucidation de leurs destins contrariés. Éclairant l’existence de son père, et la sienne, à l’aune de ses découvertes, elle livre une réflexion sur le caractère implacable de la généalogie et la puissance dévastatrice du non-dit.

Especèces dangereuses, Sergueï Shikalov (Le Seuil) :
Portrait d'une Russie qui a laissé croire à ses citoyens que l’amour deviendrait libre, que les gays prides deviendraient aussi légitimes que les prides militaires, avant de couper l’oxygène à tous ceux qu’elle a fini par considérer comme néfastes à la préservation de ses richesses traditionnelles et de son orthodoxie. L'auteur, lui-même appartenant aux « espèces dangereuses », dresse le portrait de son pays d’origine dans les années 2000 à travers le prisme de la communauté gay. Il esquisse une Russie peu connue pour les Occidentaux, une Russie progressiste qui a laissé croire, le temps d’une décennie, qu’elle avait choisi de devenir un pays des droits de l’homme et de l’amour libre. Sergueï Shikalov propose une fresque romanesque nous faisant vivre l’espoir frémissant des jeunes Russes de ne plus prétendre être quelqu’un d’autre, d’être acceptés par leur famille et par la société malgré leurs attirances sexuelles. Entre discothèques gay-friendly et le premier concert de Mylène Farmer, la découverte éblouissante de l’Europe et des États-Unis dans lesquels les jeunes Russes voyaient ce que leur pays allait devenir, le lecteur traverse des scènes aussi incroyables que déchirantes qui lui rappellent la fragilité de notre liberté. Sergueï Shikalov témoigne pour lui mais aussi pour « on », pour tous les exilés, tous les effacés, tous ceux qui ont vu leurs espoirs partir en éclats.
Sergueï Shikalov vient de publier Français de papier aux Éditions du Seuil dans la collection Libelle.


Rencontre animée par les étudiants du Master Création littéraire